CONFERENCE DE DANIEL SOULIE AU MUSEE D'ART MODERNE « Frontières et ennemis à travers les arts : l’image de l’autre, des « Neuf Arcs » au mur de Berlin »

Publié le 10 Mars 2013

 

 

MUSEE D'ART MODERNE : COMPTE-RENDU DE LA CONFERENCE DE DANIEL SOULIE AU MUSEE D'ART MODERNE

 

Par Elise Arnould et Julie Odde élèves en hypokhâgne au Lycée Claude Fauriel de St Etienne.

 

 

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Daniel Soulié (historien de l'art). (photo F Arnal) 

 

Dans le cadre de la journée d'études sur les frontières organisée par le lycée Claude Fauriel le Vendredi 1 Février 2013

, Daniel Soulié (historien de l'art et archéologue qui travaille actuellement au musée du Louvre dans le domaine de la médiation muséographique) a tenu une conférence au musée d'Art Moderne de Saint-Étienne intitulée : « Frontières et ennemis à travers les arts  : l’image de l’autre, des « Neuf Arcs » au mur de Berlin ».

 

East Side Gallery

East side Gallery à Berlin (photo D Soulié)

 

Bien que le thème des frontières ne puisse pas être directement abordé par l'histoire de l'art, l'idée de l'image de l'autre permet d'en esquisser une approche complémentaire aux approches géographiques, économiques ou politiques ; d'après Daniel Soulié, la relation avec l'autre, l'étranger, celui qui n'est pas de sa tribu à toujours été conflictuelle. Ces frictions, ces échanges sont notamment interprétés par l'homme dans l'art, moyen d'expression utilisé depuis la nuit des temps. Il existe toujours une limite, quelque chose qui marque la différence entre l'espace de l'autre et notre espace ; cet espace est une frontière. Il est donc possible d'aborder ce thème à travers l'image de l'autre dans l'art. En effet, l'autre en tant qu'il est non seulement différent mais aussi de l'autre côté de cette frontière a souvent été représenté dans de nombreuses civilisations.

 

Après avoir évoqué dans un premier temps l'exemple de l’Égypte qui a l'avantage de permettre d'aborder l'ensemble des civilisations du bassin méditerranéen. Daniel Soulié retrace alors l'évolution de l'image de l'autre en passant par la civilisation romaine, puis plus largement par la société occidentale ; d'une image péjorative ou ethnographique, l'on passe à une image politiquement connotée à partir du XIXe siècle avec la naissance de sentiments nationalistes dont le mur de Berlin constitue l'un des symboles majeurs d'une frontière entre des peuples et des conceptions du monde radicalement opposées.

 

 

 

L'EGYPTE : L'IMAGE DE L'AUTRE COMME D'UN ENNEMI, D'UN « BARBARE » A MAITRISER ET A DOMINER


 

temple de Medinet Habou 

Temple de Medineh Abou (XI° siècle avt JC) Ramsès II saisit par les cheveux une grappe d'ennemis (ici des libyens).
(photo D Soulié)

 

La civilisation de l’Égypte antique a toujours été en conflit avec les pays limitrophes à son territoire. Ces conflits incessants ont eu une incidence sur la vision de l'étranger. En effet, en tant qu'il était dangereux, l'Autre était considéré comme un ennemi à abattre. Cette conception se retrouve notamment gravée sur les façades des temples qu'il nous reste de cette époque. Ainsi, des scènes de massacres rituels où l'on aperçoit le pharaon s’apprêtant à tuer des étrangers comme sur le temple funéraire de RAMSES III sont souvent représentées. A cette occasion, l’Égypte est dépeinte comme un monde organisé alors que les ennemis incarnent le désordre et le chaos.

 

statue de Djeser

Pilier de la statue de Djeser (2800 avt JC) 9 arcs brisés sous les pieds du roi : les 9 tribus ennemies de l'Egypte tombées au sol et piétinées. (photo D Soulié)

 

Cette supériorité s'affirme jusque dans l'art Égyptien dans lequel neufs arcs ou neuf personnages sont souvent représentés sous les pieds du pharaon sur une statue, sous les semelles d'une sandale ou sous un trône. Il s'agit de l'évocation de neuf tribus étrangères ennemies de l’Égypte et que le pharaon soumet, piétine symboliquement. L'étranger est donc irrémédiablement et automatiquement considéré comme un ennemi qu'il faut asservir.

 

UNE CONCEPTION DE L'AUTRE QUI PERDURE A ROME : LE CIVILISÉ FACE A L'ENNEMI

 

La représentation de l'étranger à Rome (au II° siècle après J-C environ) suit la même codification qu'en Égypte : une opposition entre l'ordre et le chaos. Ainsi, le rôle de Rome va être de mettre de l'ordre dans le chaos, d'apporter la civilisation à ceux qui ne l'a connaissent pas. Lutter contre l'étranger, c'est alors la lutte de la civilisation contre la non-civilisation.

Sicile-2011- 1586

La colonne de Trajan, détail (photo F Arnal)

 

Un fois de plus, cette conception se retrouve sur les monuments à la gloire de Rome comme la colonne de Trajan qui commémore les guerres menées par ce dernier contre les Daces : les milliers de figures que l'on peut distinguer représentent le long combat d'ordre de la légion romaine contre les Daces alors considérés comme « barbares ».

 

 

AU MOYEN-AGE : LA DIFFÉRENCE PAR LA RELIGION

 

Overbeck Italia et Germania

Overbeck : Italia et Germania 1828

 

Au Moyen-Age ainsi qu'à la Renaissance, cette image négative de l'étranger perdure. En effet, l'étranger fait peur par sa différence mais nous ne possédons pas beaucoup d'illustrations pour cette période car l'art ne s'est pas concentré sur ce sujet à ces époques. Cependant, cette image est visible dans la littérature avec les récits des croisades dans lesquels l'étranger est toujours un non-catholique, un Infidèle qu'il s'agit de vaincre faute de pouvoir le convertir. Au Moyen-Age, la frontière n'est donc pas uniquement politique mais aussi religieuse, c'est une frontière intérieure.

 

 

L'APPROCHE DE L'IMAGE DE L'AUTRE DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE A TRAVERS L'ETHNOLOGIE

 

A partir du XVIIème siècle, l'image de l'autre se modifie peu à peu pour parvenir à ne plus concevoir l'autre uniquement comme ennemie systématique. Le développement des sciences aura permis cette ouverture d'esprit. Le XVIIème siècle est aussi l'époque où les puissances coloniales tendent à s'installer sur les territoires acquis. Ainsi, le Prince portugais Nassau qui part comme gouverneur du Brésil, emmène avec lui Franz Post, un peintre.

 

Franz Post

Franz Post Paysage brésilien (1649) Format 69 x 53 cm Munich, Ancienne Pinacothèque

 

 

Ce dernier peindra les images du pays pour familiariser les Occidentaux avec les colonies d'Amérique du Sud. Il sera le premier artiste Occidental à représenter l'autre, l'étranger des colonies. L'autre, qui n'est plus seulement l'être inconnu mais aussi la terre non découverte n'est plus objet d'hostilité mais de curiosité. Cependant, il ne représentera pas toujours la réalité car il l'embellira : il multiplie les éléments de végétation et créera par là le mythe du Bon sauvage.Outre les quelques critiques que l'on peut lui adresser, Post aura toutefois réalisé à véritable travail d'ethnologie.

 

 

L'ETRANGER COMME NOUVELLE ATTRACTION EXOTIQUE

 

Delacroix, Femmes d’Alger, 1834

Delacroix : Femmes d'Alger  Hauteur 180 cm - Largeur 229 cm Le Louvre Paris

 

L’Europe sort de 25 ans de guerre au début du XIXe siècle : on assiste alors à un renouveau intellectuel : tout est objet à dessin, à commentaire, à réalisation d’œuvres. A ce titre, le peintre Delacroix en voyage au Maroc et en Algérie, colonies Françaises, s'intéressera dans ses peintures aux mœurs et aux autochtones. Il ne s'agit alors plus de copier les anciens mais bien de brosser les principales caractéristiques de cette civilisation orientale méconnue de l'occident. Cependant, ces images de l'Orient sont « digérées » par la tradition occidentale : on assiste à une accentuation des traits exotiques, des caractéristiques, qui paraissent tout droit sortis des contes. Alors que le goût pour l'Orient se développe, c'est néanmoins un Orient « édulcoré » qui parvient aux yeux des Occidentaux qui s'imagine une région au sein de laquelle les bains et les harems font partie du quotidien. Cette mode de l'Autre comme objet d'attraction exotique, l'Orientalisme, ne concernera pas uniquement l'Orient mais aussi les peuples d'un continent en cours de colonisation active par les Anglais : le continent Américain.

Catlin Chef indien

George Catlin : chef indien (entre 1840 et 1850)

 

Ainsi, Katlin, peintre voyageur, ramènera en Europe de nombreux portraits d'Indiens des Grandes Plaines. Lucide, il savait que les peuples étaient voués à disparaître, c'est pourquoi il entreprit de rassembler toute la documentation possible concernant ces cultures. Mais ce travaille d'ethnologue a ses revers car Katlin sera aussi l'organisateur de spectacles de cirque dans lesquels il présentera fièrement ces indiens amenés d'Amérique pour les exposer comme des curiosités, des bêtes sauvages.

Catlin Chasse au bison

George Catlin : chasse au bison.

 

 

LA MISE EN SCENE DES POUVOIRS ET DES IDENTITES POLITIQUES A TRAVERS L'IMAGE DE L'AUTRE

 

Germania La veille

Germania : la veille :

 

A partir du XIXe siècle, l'image de l'autre en rapport avec la frontière apparaît : caricatures, images symboliques montrent l'attitude à avoir face aux étrangers. Ce développement de l'image de l'autre liée à un territoire, à une puissance, correspond à la période de la naissance des empires coloniaux ; l'idée du partage du monde émerge avec le développement des colonies, et le bouleversement des zones d'influence est de plus en plus rapide.

 

Germania La vigilance

Germania : la vigileance Werner 1874

 

 

L'image de l'Allemagne à travers la figure de Germania, péjorative et souvent opposée à l'Italie est manifeste de l'utilisation de ces images comme un moyen de montrer la supériorité d'une nation, d'un pays et d'un peuple par rapport à un autre. Les images de l'Allemagne deviennent plus politiques dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec la naissance d'un sentiment nationaliste germanique : la figure de Germania va jouer un rôle très important et qui va être lié aux frontières (dans le cas de l'Allemagne, la frontière est symbolisée par le Rhin) jusqu'à, au début du Xxe siècle, devenir une image beaucoup plus conquérante qu'elle n'avait pu l'être au XIXe siècle.

Germania

Germania l'allégorie nationale allemande, à la rescousse de la mère patrie entrant dans la Première Guerre mondiale, sur une peinture de Friedrich August von Kaulbach en 1914.

 

 

LE MUR DE BERLIN : UN EXEMPLE DE FRONTIERE POLITIQUE AU XXE SIECLE

 

Traiter de l'exemple du Mur de Berlin permet de bien mettre en relief l'idée d'une frontière à la fois politique et sociale entre deux populations, et qui a aussi fait l'objet d’une appropriation artistique. Le Mur de Berlin est l'une des frontières les plus hermétiques et si beaucoup de décors ornent le mur, ils ne concernent que la partie ouest du mur avant 1989 ; en effet, Berlin ouest était le point de rendez-vous de la jeunesse contestataire de l'Allemagne car il constituait le seul territoire où le service militaire n'était pas obligatoire. Par ailleurs, Berlin est la ville où est née l'art du graffiti, ce que l'on constate bien si l'on observe les différents décors du Mur. Au contraire, le Mur de Berlin côté est demeuré blanc :l'un des éléments de défense du Mur était sa couleur, car on pouvait distinguer ceux qui s'en approchaient.

 

mur de Berlin

Photo D Soulié

 

La décoration du Mur s'explique par un processus de sacralisation de la zone du mur en essayant notamment de le rendre moins guerrier, moins triste, si l'on prend l'exemple du mouvement des fauves qui est particulièrement lié au mur. La porte de Brandebourg est l'image politique par excellence et elle fortement liée au Mur car elle symbolise la paix tournée vers Berlin, mais aussi la division de la ville car elle est inaccessible.

 

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Keith Haring

 

Le souvenir de cette frontière qui dura 20 ans est aujourd'hui un symbole du rassemblement des peuples malgré les difficultés politiques et les décisions des régimes : le décor du mur peut être demandé par le gouvernement lui même ; l'artiste Keith Haring a par exemple recouvert une centaine de mètres du Mur de Berlin côté ouest de graffiti aux couleurs de l'Allemagne afin de symboliser un possible réunification dans le futur, graffiti qui va être recouvert très rapidement car Keith Haring était pour un art du mur vivant.

 

Häring devant le mur

Keith Haring devant son oeuvre sur le Mur de Berlin

 

 

Ainsi, la représentation de l'autre à travers l'art permet à la fois de tenter de le définir, mais aussi et surtout de s'en distinguer et par là de se créer ou se recréer une identité propre qui nous démarque.

 

Retrouvez le fil de la journée Frontières ici (compléments iconographiques).

Rédigé par François Arnal

Publié dans #travaux d'élèves

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